mercredi 14 mai 2014

Le labyrinthe ou les forêts

Où en étais-je ? Vous préférez les forêts ou les labyrinthes ? Encore un canapé, Madame ?Pas de drame, je rame : "Ariane, ma soeur, qu'as-tu fait de ton fil ?" Est-ce que l'amour sur canapé vous fait monter au septième ciel et grimper aux rideaux ? L'amour sur canapé n'est-il pas celui que le lyrisme poétise ? Peut-on "poétiser" l'amour quand son partenaire pète au lit (sujet d'une nouvelle de Maupassant intitulée "la toux")? Les forêts ou le labyrinthe. Un poète n'est-il pas nécessairement labyrinthique ? Ou bien Orphée vise-t-il les cimes ? Et que dire de l'orphéon, sinon que les trompettes pètent aussi ? "Trompettes de la renommée !" Du pêt aux cimes, quel grand écart, je reviens ! Mon premier est la moitié de la grosse commission (rien à voir avec les commissures) ; mon deuxième est l'adjectif possessif ou le déterminant possessif) du pluriel ; et mon troisième est "un gaz sortant du trou chismatique et qui annonce avec fracas l'arrivée du général mon Premier en entier. Et mon tout est les cimes. Peut-on définir les cimes par le pêt ? "Quand une femme pète au lit, pète au lit, Elle a quatre jouissances : Elle bassine sont lit, bassine son lit, Elle soulage son ventre, Elle entend son cul qui chante, Elle empoisonne son mari". N'est-elle pas orphique, cette chanson que m'avait apprise il y a longtemps le comédien Pierre Gérald, mort à plus de cent ans ? Pourquoi définir les cimes par le pêt ? Ah, mince, je vous ai donné mon dernier. Je vous pose une autre charade pour me rattrapêt, et puis j'en viens à ma thèse. Mon premier est les cimes modifiées d'une liquide (un son); ou bien il est ce qui vous bat dans l'oeil, ou plutôt sous les yeux, le symétrique de mon premier, sous le front, est sourd ; mon deuxième, les girouettes, au nom du vent qui tourne, ne cessent de la retourner, entendez les hommes politiques, et pas seulement depuis Edgar Faure ; ou, quand on se prend un râteau, on dit aussi qu'on se prend ma deuxième ; et mon dernier est le préfixe le plus courant de la répétition, par quelle diablerie se retrouve-t-il ici en fin de mot? Mon tout est l'inquiétant dieu de la forêt pour les Romains ou le valet de Scapin. Résolvez ces charades en répondant ici (julien.weinzaepflen@laposte.net), et puis revenons à ma thèse. Depuis hier, je suis perdu dans les forêts tropicales. Etre perdu, n'est-ce pas le lot de tout poète labyrinthique ? Un de mes amis, comme je lui demandais comment il me définissait, me répondit : "Tu es perdu dans un labyrinthe, qu'as-tu fait de ton fil ?" Comme "je serai Chateaubriand ou rien", on me fit étudier hier ce passage célèbre du prologue d'Atala : "Les deux rives du Meschacebé [Mississipi] présentent le tableau le plus extraordinaire. Sur le bord occidental, des savanes se déroulent à perte de vue ; leurs flots de verdure, en s’éloignant, semblent monter dans l’azur du ciel où ils s’évanouissent. On voit dans ces prairies sans bornes errer à l’aventure des troupeaux de trois ou quatre mille buffles sauvages. Quelquefois un bison chargé d’années, fendant les flots à la nage, se vient coucher parmi de hautes herbes, dans une île du Meschacebé. À son front orné de deux croissants, à sa barbe antique et limoneuse, vous le prendriez pour le dieu du fleuve, qui jette un œil satisfait sur la grandeur de ses ondes, et la sauvage abondance de ses rives. Telle est la scène sur le bord occidental ; mais elle change sur le bord opposé, et forme avec la première un admirable contraste. Suspendu sur les cours des eaux, groupés sur les rochers et sur les montagnes, dispersés dans les vallées, des arbres de toutes les formes, de toutes les couleurs, de tous les parfums, se mêlent, croissent ensemble, montent dans les airs à des hauteurs qui fatiguent les regards. Les vignes sauvages, les bignonias, les coloquintes, s’entrelacent au pied de ces arbres, escaladent leurs rameaux, grimpent à l’extrémité des branches, s’élancent de l’érable au tulipier, du tulipier à l’alcée, en formant mille grottes, mille voûtes, mille portiques. Souvent égarées d’arbre en arbre, ces lianes traversent des bras de rivières, sur lesquels elles jettent des ponts de fleurs. Du sein de ces massifs, le magnolia élève son cône immobile ; surmonté de ses larges roses blanches, il domine toute la forêt, et n’a d’autre rival que le palmier, qui balance légèrement auprès de lui ses éventails de verdure." Vous trouvez ça beau, ce pitoresque un peu forcé, qui mélange la savane et les Amériques, met d'un côté la faune et de l'autre les lianes ? Liane, c'était aussi le diminutif que Paul donnait à christiane dans "Montoriol", le roman thermal de Maupassant, mais passons en faisant un détour : n'est-ce pas le lot d'un poète labyrinthique que de se perdre dans ses détours ? Je vous demandai tantôt si vous aimiez mieux les forêts ou les labyrinthes ; je vous demande à présent ce que vous préférez, du végétal ou de l'animal. Car cette nuit, j'écoutais sur RCF l'émission "visage" quia vait pour invité le botaniste Francis Hallée. Vous pouvez la réécouter ici, elle en vaut la peine : http://podcast.rcf.fr/emission/143216 Le vieux chercheur y développe trois considérations qui ont retenu mon attention (attention, deux charades peuvent en cacher une troisième). 1. Il décrit d'abord le véritable "enfer vert" qui germe sous la déforestation : comme on coupe les cimes, l'environnement céleste des forêts, ma première charade, se dégradde. La lumière ne peut plus déployer du ciel l'énergie moléculaire grâce à laquelle les plantes, non seulement n'ont pas besoin de se nourrir, mais peuvent faire venir la pluie. la lumière verse sur la terre, et la forêt devient sauvage, comme celle que décrivait Chateaubriand comme parangon sublimé de la nature non domestiquée. Et Francis Hallée de prodiguer ce conseil judicieux : plutôt que de désinvestir à perte en coupant du bois, il serait plus rentable de capter l'énergie qui nourrit la plante sans gaspiller une autre ressource naturelle. 2. On dit que végète un homme qui se perd dans la luxuriance de ses forêts intérieures ou qu'est devenu un légume celui qui n'est plus bon à rien d'utile. On a répondu à ma second question : "préférez-vous être un animal ou un végétal ?" en dépréciant le végétatif. Or, en méditant sur le Mystère de "l'Esprit qui planait sur les eaux" "en tête" de la Création ou dans le principe créateur, je considérai combien l'Acte de Celui dont procède ce mouvement perpétuel qu'est la nature avait été ressenti par les Ecritures comme essentiellement végétatif. J'en ai donc conclu qu'au lieu d'aspirer à poser des "actes libres", Sartre ou Gide auraient mieux fait de nous inciter à nous poser dans des actes végétatifs, car L'esprit est végétal, l'inspiration ne travaille pas, elle pousse dans le mûrissement qui nous la fait recueillir dans le jaillissement de la transe outrancière ou la patience assidue du travail ascétique. 3. Et si nous ne nous intéressons pas aux plantes parce que nous nous sommes perçus comme des animaux, qui se permettent d'empiéter sur l'espace vital, quand ce n'est pas sur la vie de l'autre, c'est que nous ne nous plaisons qu'à la similitude, d'abord à la paresse de l'imitation, puis au dévoiement de l'énigme dans le miroir en contemplation pigmallioniennes de ses projections intérieures, ou bien en banal narcissisme, qui met les cimes sur canapé : je suis l'énigme et le miroir, et Je prends des cimes en apéro ! Nous ne pensons pas à l'autre parce que nous ne commençons à nous intéresser à lui que quand nous réalisons à quel point il nous ressemble. Nous ne nous projetons pas extérieurement. Pensez si nous pouvons être sensibles au tout de ma troisième charade : mon premier est une interjection hélante ; mon deuxième doit infuser ; mon troisième est ce que fait le petit mammifère humain après avoir ingurgité son biberon ; mon quatrième sert à comparer proverbialement le père au fils ; mon cinquième est la voyelle rouge (ou la voyelle au label rouge rimbaldisé) et mon tout est ce phénomène, mis en lumière par Jules Monerot, au terme duquel il ne suffit pas que "les sociétés humaines [ne comprennent jamais] l'histoire qu'elles vivent", mais l'histoire arrive avec une sorte de fatalité à un autre résultat que le but qu'elle s'était assigné. On est loin de l'optimisme hégélien. Et c'est ainsi que couper du bois nous prive de l'énergie des forêts et qu'il vous faut répondre ici : julien.weinzaepflen@laposte.net

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