dimanche 2 décembre 2012

La charade de la neutralité

"La neutralité bienveillante." Longtemps je me suis moqué de cette disposition d'esprit qui doit être celle du psychanalyste à l'égard de son patient. En bonne llogique, cette disposition devrait conduire le "soignant", l'"écoutant", le thérapeute, à ne pas non plus prendre position vis-à-vis du discours de celui qui vient le consulter et à ne pas lui donner raison dans ses allégations de souffrance imputables, selon lui, à tel de ses ascendants ou moins souvent ses amoures qui, en l'offensant, en est responsable. "Responsable, mais pas coupable", tu parles ! L'homme cherche toujours des responsables et des coupables. Pourtant, il y a une différence de taille entre le responsable et le coupable : le responsable doit répondre de l'action commise sous sa juridiction et vigilance ; mais l'action fautive ou criminelle peut très bien avoir été commise par l'un de ses employés, sans que le responsable (étymologiquement qui doit "répondre de") en ait jamais été informé. A chaque accident qui survient, on cherche un responsable. Quelqu'un a glissé par temps de neige ? Ce n'est pas la faute du mauvais temps, mai la faute du maire qui n'a pas déneigé, ou qui a construit des trottoirs sur lesquels la toison neigeuse aime tomber à foison encore plus blanche que dans les forêts vierges. Les blanches mains sont immaculées, Le coupable, ce maculé, responsable de tout le sang versé, quand le christ, affirme Pascal, murmure à notre coeur : "J'ai versé telle goutte de sang pour toi." Le chrétien est-il un irresponsable ? "responsable, mais pas coupable." En principe, il refuse de tenir une comptabilité macabre puisqu'"un Homme est Mort une fois pour toutes". Cela peut faire qu'on le croie indifférent, mais son indifférence est un refus de l'implacable logique de vengeance, qui fait que l'on n'en finira jamais. Le chrétien est-il donc un terrain neutre ? Y a-t-il seulement des pays neutres ? qu'est-ce que la neutralité en matière politique ? La neutralité, ne serait-ce pas laisser chacun régler ses affaires en ne s'interposant qu'en cas de disproportion majeure des forces ou de lynchage, comme il m'est arrivé, en pleine nuit, avec Nathalie, d'avoir à téléphoner à la police parce que nous entendions, sous nos fenêtres, un gars se faire lyncher par cinq ou six de ses anciens camarades, à qui il avait dû faire une crasse. La "neutralité bienveillante", cela consiste à laisser chacun s'exprimer, en tenant ce qu'il dit pour vrai a priori et en perdant ses oeillaires, du fait qu'on a été éclairé sur une situation de différents points de vue. C'est une forme de "bienveillance" vis-à-vis de la personne d'autrui, qui s'étend jusqu'à son propos. Mais c'est aussi une "neutralité", par laquelle on s'interdit de faire ce qu'un chrétien a tendance à prendre pour la manière la plus christique de réagir : de l'autre, "prendre la douleur", comme le chante si ingénieusement la très virtuose et pétillante Camille. Le chrétien n'est ni le "parent sauveur" de l'analyse transactionnelle, ni le saint-bernard dom quichotesque qui ne vient jamais à point nommé, se dépense beaucoup et ne règle rien, un chrétien n'est pas le christ. Ce qu'il écoute avec une neutralité bienveillante, le chrétien le dépose aux pieds du christ. Mais il ne s'agit pas de confondre neutralité et neutralisme. Le neutralisme, c'est l'exemption diplomatique de position. Mais cela peut aller encore beaucoup plus loin, dégénérer en une espèce de culte de la neutralité. Dans son "Cours sur le neutre" que j'ai commencé de lire, Roland barthes supplie qu'on le laisse ne pas avoir une opinion. Il plaide ppour la "suspension du jugement", mais il va plus loin (trop loin) : il déclare que : "Je ne sais pas" est une position dogmatique. Le neutralisme est un relativisme sublimé. Il y a sans doute un relativisme nécessaire. Il y a sans doute même, au plan métaphysique, une vérité du relativisme en tant que le relativisme est ce qui met en relation. La fameuse citation que l'on prête à einstein: "Tout est relatif et cela seulest absolu" n'est pas dénuée de vérité, en ce sens que tout est en relation. Tout est en relation, mais tout ne peut pas être vrai, au point d'abolir la vérité. La suspension du jugement n'abolit pas la seule polarité vraiment rationnelle : la polarité entre le "oui" et le "non". Elle ne rend pas obsolète le commandement évangélique : "Que votre oui soit oui, que votre non soit non, car tout le reste vient du diable." Roland Dubillard ne s'y était pas trompé, qui avait intitulé une de ses pièces : "Diablogues." Le dialogue, c'est toujours une "lutte avec l'ange". A la fin du combat qui l'a rendu boîteux au passage du gué du Yaboq (Félin, fais-tu le gué ?), Jacob aura été déclaré "fort contre Dieu" parce qu'il Lui aura présenté des arguments forts et ne Lui aura pas opposé une résistance de pleutre. Mieux, Jacob l'aura emporté contre dieu. Dieu aura été vaincu, non sans que Jacob en perde son besoin d'être béni : "Je ne te laisserai pas que tu ne m'aies béni." La bienveillance, c'est cette aptitude à bénir. Le neutralisme, c'est l'idée que la finalité du jugement, c'est le doute, l'exemption d'un prononciamento, l'évitement du choix, le flottement comme commencement de la mystique, comme commencement, mais aussi comme "état vaseux". ce n'est pas pour rien que Roland Barthes prend pour exemple, dans ce qui relève plus d'un "éloge du neutre" que d'un "cours sur le neutre", l'état flottant des "hashishins", bien que ce soit de "la secte des fumeurs de chanvre" que soit venu le qualificatif d'"assassin". Ne pas prendre position pour l'autre,c'est, quand on a pesé le pour et le contre, l'assassiner beaucoup plus efficacement qu'en voulant lui éviter la mort. Moi qui n'aime pas l'intransigeance, je sais bien qu'il faut transiger. Le neutralisme substitue l'adogmatisme de la complexité à la dogmatique des Mystères. Première charade : mon premier est une reine de beauté ; mon deuxième est un amas ou une pile ; mon troisième sont les grandes Ondes ; mon quatrième est la lettre initiale de mon prénom ; et mon tout est la théologie des Mystères. Deuxième charade : Mon premier est le préfixe de l'"hors de" ; les nourrissons mangent souvent de petits mon deuxième : Blédina, blédina ; mon troisième est le lieu destiné à la vinification ou à la conservation des vins et des eaux de vie ; et mon tout est la "suspension du jugement", en grec. Ne vous déjugez pas en répondant ici : julien.weinzaepflen@numericable.fr

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